Cette acquisition entre parfaitement dans la stratégie de développement de Facebook que j'ai décrite dans mon livre "Silicon Valley / Prédateurs Vallée ? Comment Apple, Facebook, Google et les autres s'emparent de nos données".
Dans cette enquête, je décris le modèle économique de Facebook, basé sur la publicité ciblée et donc sur la nécessité pour cette entreprise d'accumuler le plus d'informations sur chacun d'entre nous en vue de connaître nos centres d'intérêts.
Cette stratégie met le réseau de Mark Zuckerberg :
- en concurrence frontale avec Google, dont le modèle économique est similaire et qui a lancé l'an dernier son propre réseau social, Google + ;
- dans l'obligation de développer ses services sur mobiles, car de plus en plus d'internautes utilisent Facebook à partir d'un smartphone ou d'une tablette : déjà sur 845 millions d'abonnés, la moitié s'y connecte depuis un "appareil mobile"
- dans la nécessité de pousser plus loin encore l'analyse des photos que nous publions. 250 millions de photos sont publiées tous les jours sur Facebook. Nous écrivons de moins en moins de textes sur le réseau social, mais nous y publions toujours plus de photos, en particulier à partir de notre téléphone portable. Cela signifie que si Facebook veut continuer à cerner nos centres d'intérêt (et, donc, pouvoir nous envoyer des publicités personnalisées), l'entreprise doit analyser ce qui se passe dans nos clichés : où ont-ils été pris, qui y figure, quelles marques apparaissent…
Le rachat d'Instagram cadre parfaitement avec cette stratégie et explique sans doute pourquoi Facebook a accepté de débourser 1 milliard de dollars pour une start-up qui n'a ni chiffre d'affaires, ni bénéfice, emploie une quinzaine de personnes, mais compterait une trentaine de millions d'utilisateurs dans le monde :
- jusqu'à la semaine dernière, Instagram n'était disponible que sous la forme d'une application pour les iPhone d'Apple. Mais début avril, la jeune pousse a sorti une application tournant sur les téléphones portables équipés de Google Android, le système d'exploitation pour smart phones mis au point par Google. Le géant de Mountain View, à la recherche de leviers pour accélérer le développement de Google +, s'intéressait, lui aussi, à Instagram. Mark Zuckerberg a sans doute voulu couper l'herbe sous le pied à son grand rival ;
- Instagram va permettre au célèbre réseau social d'enrichir instantanément son offre de services pour ses utilisateurs de téléphone mobile ;
- l'analyse des photos : Instagram fonctionne sur des smartphones (iPhone, Google Android) dotés de GPS qui enregistrent automatiquement l'endroit où a été prise la photo ; le filtre choisi pour retoucher les clichés pourrait peut-être en dire beaucoup sur l'humeur du moment de l'utilisateur ;
- Mark Zuckerberg et Kevin Systrom, le patron d'Instagram, se sont engagés à maintenir Instagram comme un service indépendant de Facebook, grâce auquel nous pourrons continuer à partager nos photos avec les abonnés d'autres réseaux sociaux (Twitter…). Facebook pourra-t-il se servir d'Instagram comme d'une sorte de Cheval de Troie pour espionner nos agissements sur les autres réseaux ? Les règles de confidentialité d'Instagram précisent que la start-up peut partager nos informations personnelles avec des entreprises "partenaires" ou "associées" : «Instagram discloses potentially personally-identifying and personally-identifying information only to those of its employees, contractors and affiliated organizations that (i) need to know that information in order to process it on Instagram’s behalf or to provide services available at Instagram’s websites, and (ii) that have agreed not to disclose it to others.*»
*Source : http://instagram.com/legal/privacy/